Diriger l’IA, comment donner un sens à l’intelligence artificielle 

Diplômé de Polytechnique, de Sciences Po et de Columbia University, Maurice N’Diaye fait partie de ceux qui savent vraiment de quoi ils parlent lorsqu’ils évoquent l’IA. Spécialiste des modèles de traitement de langage à grande échelle, il est le fondateur de Descartes & Mauss, une société d’intelligence artificielle qui développe un logiciel d’aide à la décision destiné aux entreprises. Son essai, Diriger l’IA, comment donner un sens à l’intelligence artificielle, permet de saisir quelle formidable promesse d’avenir représente potentiellement l’IA.

La première impression lorsqu’on ouvre le livre de Maurice N’Diaye, c’est une sensation de fraîcheur et de soulagement. Enfin une vraie prise de recul, enfin une approche précise, maîtrisée, distanciée de l’IA. Pas question ici de jouer les Cassandres pour annoncer le grand remplacement de l’humain par une intelligence artificielle vorace et dominatrice. Pas question non plus de tomber dans un optimisme béat. Tout simplement parce que « l’IA sera d’abord ce que nous en ferons, (…) et ne nous dépossède pas de notre libre-arbitre et de notre faculté de penser ». À la condition bien sûr de la comprendre et de prendre la mesure de son véritable potentiel.

L‘intelligence artificielle ou le mythe du tout optimisable

Car l’IA, c’est bien plus, et surtout autre chose « qu’une approche gadget » pour écrire des articles ou produire des visuels. La vocation de l’IA n’est pas de faire tout et – parfois – n’importe quoi à la place de l’humain. Tout n’est pas optimisable, rappelle Maurice N’Diaye. « Les fondements essentiels de ce qui constitue nos sociétés, notre humanité et nos intelligences, ne peuvent être mis en algorithme ». Nos valeurs, nos sentiments, notre inconscient, et par extension tout ce qui relève du secret et de l’indicible des êtres, ne sont pas modélisables. Fondamentalement, le bonheur échappe à la sphère numérique. Si tel n’était pas le cas, alors les réseaux sociaux ne génèreraient ni mal-être ni dépression, et nous ne parlerions pas de droit à la déconnexion.

L’un des points croustillants de l’essai est d’ailleurs le coup de griffe que Maurice N’Diaye, éminent startuper lui-même, porte à l’écosystème technologique et à ce qui relève de sa vacuité. « Nos sociétés sont prisonnières d’une forme d’hybris technologique qui associe obsession de la disruption, surenchère d’investissement, fuite en avant par de grandes annonces, recherche effrénée du profit et spéculation autour de solutions nouvelles sans finalité avérée. » Et l’auteur de citer quelques chiffres : « 48 économies en développement sont confrontées à un déficit de dépenses de 337 milliards de dollars par an pour les indicateurs liés au changement climatique, à la perte de biodiversité et à la pollution. (…). Selon les données publiées par London & Partners, les startups technologiques – dont une large majorité disparaîtra en moins de 5 ans – ont levé 675 milliards de dollars dans le monde 2021 ». La réaffectation de la moitié de ces crédits suffirait de fait à rendre le monde un peu plus vivable.

Réduire l’incertitude grâce à l’IA

Si la technologie n’est pas la solution aux problèmes du monde, à quoi peut bien servir l’IA ? À réduire l’incertitude pour nous aider à prendre des décisions plus éclairées, nous répond l’auteur, quitte à ce qu’elles aillent à l’encontre des tendances du moment. Par exemple, c’est en s’appuyant notamment sur l’IA qu’une société de renom « a renoncé à lancer son propre Métaverse en 2021/2022 alors que tout l’incitait à le faire, à commencer par l’intensité du buzz médiatique ».

Grâce à sa phénoménale puissance de calcul, à jamais inaccessible aux cerveaux humains, l’IA peut traiter l’infinie multitude des paramètres qui composent une situation et conditionnent ses possibilités d’évolution. « Réduire les erreurs, mieux allouer les ressources disponibles, aligner un maximum d’intérêt et effectuer des choix bénéfiques à une majorité d’individus », voilà ce que permet l’IA.

Ne nous méprenons-nous pas. L’objectif n’est pas de déléguer à la machine la prise de décision humaine, et encore moins d’exempter les dirigeants de leurs responsabilités. Plutôt de les aider à prendre la meilleure décision possible, surtout si elle est contre-intuitive et a fortiori difficile. Citant Peter Drucker, théoricien du management, Maurice N’Diaye rappelle ce principe de base : « chaque fois que vous voyez une entreprise qui réussit, dites-vous qu’un jour quelqu’un a pris une décision courageuse ». Le courage non plus n’est pas modélisable, et de ce point de vue, l’IA ne sera jamais d’aucun secours.

Les promesses de l’intelligence artificielle


En revanche, l’intelligence artificielle peut s’imposer comme une ressource infiniment précieuse pour nous aider à :

  • mieux simuler et anticiper le réel, grâce notamment aux jumeaux numériques,
  • réduire le bruit et les signaux parasites qui brouillent la prise de décision,
  • lutter contre la pensée de groupe, les effets du conformisme et l’auto-censure,
  • limiter les sources de gâchis,
  • réaliser des avancées scientifiques majeures pour la médecine, l’énergie, le climat.

Maurice N’Diaye clôt l’ouvrage sur cette prédiction : « le recours à des innovations éclairant le processus de décision sera peu à peu la norme pour des organisations qui devront limiter le gaspillage des ressources, gérer une complexité exponentielle et résoudre des dilemmes de plus en plus critiques. Celles qui s’appuieront sur le potentiel de l’IA bénéficieront d’un véritable avantage compétitif, tout en bâtissant des stratégies créatrices de valeur partagées ». La véritable promesse de l’IA réside peut-être là : nous soulager d’une partie de la gestion de la complexité pour libérer les énergies en faveur d’un meilleur partage de la valeur créée. De ce point de vue, l’IA pourrait être le meilleur allié du concept en vogue d’entreprise à mission.

Diriger l’IA, comment donner un sens à l’intelligence artificielle, Maurice N’Diaye, Hermann, septembre 2024

Lire aussi

Retour en haut